Avec le déclenchement le 7 octobre 2023 de la guerre entre le Hamas et Israël, l’influence diplomatique du Qatar est apparue à tous sous un nouveau jour. Interlocuteur privilégié des Etats-Unis comme des deux belligérants, le petit Émirat du golfe persique est incontournable dans les négociations pour la libération des otages israéliens et pour la conclusion d’une trêve ou d’un accord de paix dans la bande de Gaza. À tel point que lorsque les déclarations de représentants américains enjoignant le Qatar d’en faire plus auprès du Hamas avaient froissé les autorités qatariennes, leur menace de se retirer des négociations a plongé dans l’inquiétude et la perplexité toutes les diplomaties occidentales.
En cette période de guerre au Liban, impliquant encore plus directement l’Iran, le Qatar se révèlera davantage encore incontournable que nous devrions mieux appréhender.
Du Qatar on ne connaît la plupart du temps que l’organisation controversée de la coupe du monde de football en 2022 et la saga du PSG. En France on en connaît également les polémiques médiatiques qui confinent parfois au « Qatar bashing » sur les relations entretenues entre l’Emirat qui prône un islam rigoriste à l’instar de son grand frère saoudien, bien plus épargné des chroniqueurs, et les mouvements fondamentalistes comme les frères musulmans.
Pour comprendre le positionnement géopolitique et diplomatique singulier du Qatar, il convient de chercher sa source dans l’histoire récente de cette péninsule de quelques 11500 km2 pour 1,4 millions d’habitants dont seulement 450 000 nationaux qatariens. Ancien protectorat anglais, le Qatar obtient son indépendance en 1971. La France est un des premiers pays à reconnaître le nouvel état ce qui explique les liens d’amitiés et de coopération privilégiés entre nos deux pays. Très attachés à ce lien fort, au delà des partenariats économiques ou militaires, les qatariens sont très sensibles au traitement médiatique dont ils font l’objet par la presse française.
L’indépendance du Qatar se construit face au grand voisin saoudien, sa principale menace, qui partage la seule frontière terrestre avec l’Emirat et face aux autres émirats du Golfe, de Bahreïn aux EAU. L’Arabie saoudite, comme les émirats, cultivent une méfiance constante envers leur voisin qatarien jusqu’à la crise du blocus de 2017, déclenché sur d’obscurs prétextes mais qui en réalité avait pour objectif d’affaiblir voire d’anéantir le seul pays du golfe qui ne dépende pas de l’industrie du pétrole. En effet, le Qatar partage avec l’Iran, dont il est également proche diplomatiquement, la deuxième réserve mondiale de gaz et détient le leadership mondial de la production de gaz naturel liquéfié.
De cette indépendance chèrement protégée et de cette forme de marginalité naît la volonté chez les dirigeants qatariens et singulièrement chez SA Cheikh Tamin Ben Hamad Al Tani la volonté de devenir une puissance régionale qui compte et qui soit un trait d’union au proche et au moyen orient. D’où une activité diplomatique intense que n’ont pas ses voisins, au risque parfois d’être montré du doigt. Liens diplomatiques et économiques avec l’Iran, dialogue avec les Talibans, accueil à Doha des dirigeants du Hamas, relation privilégiée avec la Turquie et dans le même temps un lien diplomatique et militaire fort avec les puissances occidentales comme les États Unis et la France font effectivement du Qatar un acteur géopolitique à part.
L’Émir Tamin est parfaitement francophone et francophile. En le rencontrant, comme ce fut mon cas en 2022, on comprend bien mieux sa vision géopolitique.
Elle est à la fois marquée par la volonté d’ouverture sur le monde, qu’il porte, et la multi-polarité, qu’il assume. On perçoit alors combien le Qatar va continuer de développer son soft power dans les domaines sportif, culturel ou encore éducatif auprès des pays musulmans de l’Afrique afin de renforcer encore son poids diplomatique.
L’organisation de la coupe du monde de football en 2022 ne constituait pas un aboutissement mais une étape dans la montée en puissance du Qatar dans le concert international. L’épisode a également montré la capacité de l’Emirat à s’adapter aux standards internationaux. Le Qatar fut le premier pays du golfe à avoir ouvert au processus électoral la désignation des membres de la Choura (l’équivalent du Parlement d’une démocratie) avec la présence de femmes en son sein, tout en assumant son statut d’état islamique. Dans le cadre de la préparation de la coupe du monde, Le Qatar a également été le premier pays de la région à mettre fin au système de la kafala qui lie l’employé étranger à son employeur. Je ne souhaite en rien idéaliser la situation mais les progrès notables réalisés par le Qatar en matière de droit du travail et d’accès à la santé des travailleurs étrangers doivent être portés au crédit de l’Émirat et renforcer son statut d’interlocuteur sûr entre le monde musulman et le monde occidental.
La France aurait tout intérêt, au delà du concept tiède de real politique, à cultiver sa relation privilégiée avec le Qatar et avec l’Emir, n’en déplaise aux pourfendeurs de salon et à une certaine presse.
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