Notre agriculture vogue de crises en crises. Chaque année, le nombre d’agriculteurs qui renoncent ou, pire, se suicident frappe nos esprits. Et pourtant, rien ne bouge vraiment, alors même que c’est sans doute la profession la plus soutenue par l’opinion publique.
Chaque année le salon de l’agriculture est l’occasion pour les Français de dire leur affection et leur admiration pour le monde agricole, tandis que les politiques s’y livrent à un show parfois indécent comparé à l’immobilisme général.
On ne peut pas dire que les difficultés rencontrées par le monde agricole sont inconnues des responsables successifs.
La principale est un revenu insuffisant (parfois même seulement pour vivre), surtout au regard du nombre d’heures travaillées qui est bien supérieur chez les agriculteurs que pour le reste de nos compatriotes. Ce manque de revenus n’est pas le même dans tous les secteurs, mais il a toujours une source commune ; le rapport de force déséquilibré dans la négociation des prix entre les producteurs et les acheteurs.
C’est à cet aspect que la loi EGALIM cherchait à s’attaquer, sans finalement rééquilibrer suffisamment le rapport de force au profit des producteurs, de peur d’aller trop loin au détriment du pouvoir d’achat des Français. En effet, les acheteurs ne manquent jamais de faire valoir qu’ils répercuteront toute hausse des prix payés aux agriculteurs dans le panier de la ménagère, ce qui finit par faire peur à tout gouvernement.
Et c’est bien là que niche une partie des contradictions de nos compatriotes au sujet de nos agriculteurs.
On les aime, on encense la qualité de leur production, on les soutient quand ils manifestent leur souffrance, mais qui est prêt à payer plus cher ce qu’on mange pour qu’ils aient un revenu décent ?
Or, même s’il est vrai qu’il y a des efforts de réduction de marges à trouver dans la chaine qui va du grossiste jusqu’au consommateur, il n’en reste pas moins que nous devrions accepter de payer plus cher pour leur permettre d’avoir un revenu décent. Le risque étant toujours que la hausse du prix ne bénéficie finalement pas au producteur.
Il existe un moyen pour redonner du revenu aux agriculteurs sans risquer qu’il soit confisqué par d’autres acteurs, c’est de réduire leurs coûts.
Pour cela, on pourrait remplacer près de 50% de leurs cotisations sociales à la MSA par 1 point de TVA du taux normal. Ainsi ce sont les consommateurs, sur tout ce qu’ils consomment, qui augmenteraient directement le pouvoir d’achat des agriculteurs en diminuant leurs charges d’environ 10 milliards d’euros.
Réparti sur 800 000 agriculteurs, cela représenterait une somme considérable pour chacun, en moyenne 1000 euros par mois. Cela marquerait aussi la solidarité nationale envers ceux qui nous nourrissent et nous sont aussi indispensables que ceux qui nous soignent.
Car c’est un aspect trop souvent minoré du rôle de nos agriculteurs, ils sont un élément de souveraineté nationale aussi essentiels que la défense nationale. Le besoin premier d’un peuple est de pouvoir se nourrir. La plupart des autres sont accessoires. Or, disposer d’une agriculture puissante et fiable est le seul moyen d’avoir la garantie d’être toujours autosuffisants alimentairement, quelques soient les crises qui traversent l’époque.
Cela devrait être une priorité gouvernementale constante et donc conditionner notre regard sur la capacité des agriculteurs à vivre de leur travail, à investir et moderniser leurs exploitations, à garantir une alimentation sûre et saine. Force est de constater que nos politiques publiques n’abordent pas notre agriculture et notre industrie agro-alimentaire sous cet angle.
De même, la vie du monde agricole conditionne à la fois notre aménagement du territoire et l’entretien de nos espaces naturels. Sans activité agricole, nos campagnes seraient désertes de commerces, d’écoles, de métiers de service (publics ou privés) et nos villes seraient embolisées. Sans nos agriculteurs nos campagnes deviendraient des friches.
Or là aussi, ils rendent un service public non rémunéré à la Nation. Ils aménagent l’espace naturel, l’entretiennent et le valorisent.
Nous devrions concevoir, notamment à travers la Politique Agricole Commune, que ces sculpteurs de la nature puissent percevoir des revenus des missions que nous leur fixerions pour préserver l’environnement, réparer les erreurs d’après-guerre et favoriser la lutte pour la biodiversité.
Trop souvent, les débats les concernant se limitent à les accuser de polluer à travers leurs rejets (qu’on pourrait mieux valoriser en énergies renouvelables et rémunératrices) ou les produits chimiques qu’ils emploient. Mais ce sont bien eux seuls qui peuvent récréer les haies, supprimées pour des raisons de productivité, et dont nous avons pourtant besoin pour abriter la faune sauvage et limiter le ruissellement des eaux notamment. C’est bien l’alternance intelligente de leurs cultures qui peuvent avoir un effet bénéfique à nos milieux naturels, que ce soit pour les animaux, les végétaux ou la qualité des eaux. C’est aussi avec eux seuls que nous pouvons bâtir les réserves d’eau et les système d’irrigation, à la fois économes et efficaces, qui, associés à la création de végétaux nécessitant moins d’eau pour se développer, peuvent nous permettre de surmonter les épreuves du changement climatique.
Mais tout cela a un coût pour eux, que ce soit en diminuant la productivité ou en nécessitant des investissements, qu’il s’agisse de réparer les dégâts imposés à la nature au cours du dernier siècle ou de préparer un avenir plus éco-responsable. C’est à la collectivité nationale et européenne d’en prendre une partie de la charge en assumant une part de ces coûts. L’accompagnement financier nécessaire devrait ensuite être confié aux communes, car c’est à leur échelle qu’on connait les chemins, les cours d’eau et les haies nécessaires.
Enfin, nous pourrions lever très vite les contraintes pesant sur nos agriculteurs et qui ne pèsent pas sur leurs concurrents européens.
Les politiques européennes fixent un grand nombre de règles et de normes pour la production de notre alimentation. S’appliquant à tous elles garantissent un niveau de sécurité alimentaire mais aussi des marchés européens ouverts à tous les producteurs. Mais la France ajoute sans cesse, de façon invraisemblable, ubuesque et déraisonnable, des normes hexagonales à celles déjà prévues par l’Europe. C’est ce qu’on appelle la « surtransposition », une maladie excessivement française.
Mais cette maladie a elle aussi un coût vertigineux pour nos agriculteurs et les rends victimes de concurrence déloyale vis-à-vis de leurs concurrents européens. La plupart du temps, nous « surtransposons » (comprendre ajoutons nos normes aux normes européennes) parce que nous n’avons pas été bons et ne sommes pas parvenus à obtenir les bons arbitrages à Bruxelles.
Au lieu de remonter au front pour faire changer les règles européennes, la lâcheté face à divers groupes de pression qui demandent ces normes poussent les gouvernants français à se faciliter la tâche en ajoutant leurs propres règles. Au détriment de nos agriculteurs, de leur compétitivité et de leurs revenus. Évidemment, une fois cette faute commise il devient quasiment impossible d’obtenir de l’Europe qu’elle s’aligne sur nos normes. En effet, pourquoi ceux qui profitent ainsi d’un avantage compétitif accepteraient-ils de le perdre ainsi ?
La France devrait supprimer immédiatement toute surtransposition de normes dans le domaine agricole (et pas que dans ce domaine), afin de redonner de l’air à nos producteurs. Il ne faut que du courage politique.
Ainsi, en prenant en charge la moitié des cotisations sociales des agriculteurs par une part de TVA sur la consommation, en accordant une rémunération pour les chantiers d’intérêts collectifs et écologiques dans nos campagnes et en supprimant toute surtransposition française pour rendre équitable la concurrence, nous pourrions rapidement redonner à nos agriculteurs l’oxygène dont ils ont besoin, plutôt que des déclarations d’amour sans lendemain.
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