TRUMP EST UN DEALER
Par Jean-Christophe LAGARDE
Publié le 21 Jan, 2025
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Étonnant de voir à quel point le Président BIDEN en exercice s’était à ce point effacé devant Donald TRUMP depuis la victoire de Kamala HARRIS. On a déjà dit combien l’impression que TRUMP était déjà en fonction depuis plusieurs semaines tenait à l’effacement volontaire de Joe BIDEN, mais aussi au désarroi des démocrates américains qui n’ont plus ni leader, ni ligne politique. Cela cache aussi peut-être des intérêts communs aux deux camps…

Mais le plus frappant est l’aveuglement du monde devant les « Trumpitudes » qui ont changé les donnes avant même qu’il soit en poste. Il menace tous azimuts. Il va envahir le canal du Panama, le Canada et le Groenland ! Il va martyriser de droits de douane assassins le Mexique, la Chine et bien d’autres ! Il va sanctionner par tous les moyens possibles et fantasmés l’Union Européenne si elle ose continuer à vouloir réglementer les entreprises américaines de la TECH ! Il laisse MUSK s’afficher Urbi et Orbi (jusque dans des excès peu diplomatiques), focalisant le monde sur son homme le plus riche et le plus disruptif. Le Hamas quasi mourant après une horrible guerre qu’il a déclenché et l’effondrement du Hezbollah et de la Syrie, préfère signer la trêve avant l’arrivée de TRUMP que de discuter après.

Et ces menaces portent des effets insoupçonnés, et parfois aussi démesurés que déraisonnables.

Le Panama va baisser ses droits de passages pour les navires US, entraînant par là même une distorsion de concurrence profitable aux USA, et aux financiers de sa campagne. Le Danemark commence à négocier l’accès du Groenland, et à ses ressources naturelles stratégiques, pour ouvrir la porte aux entreprises américaines, qui sont aussi les donatrices de la campagne TRUMP. Le Canada qui, contrairement à l’Europe, n’a aucun besoin des USA pour assurer leur défense va consentir à des humiliations commerciales pour protéger son économie de la matraque TRUMP ; pour le plus grand bénéfice des donateurs de la campagne TRUMP. L’omni-présence de M. MUSK a pour effet de pousser tous ses concurrents de la TECH à Canossa, chacun se croyant obligé de devancer les désirs du nouveau « patron » en le finançant ou en supprimant tout ce qui pourrait rendre le net et les réseaux sociaux plus humains et moins sauvages. Le Mexique est déjà couché, la Chine en mauvais état veut un accord pour gagner du temps, et chacun des autres espèrent une faveur en jouant perso. Quand à l’Europe, elle parle, parle et parle, mais surtout elle tremble ! Au point de ne pas appliquer sa propre réglementation sur l’usage du Net, tandis que l’homme le plus riche du monde, propriétaire de l’ex twitter (et bientôt sans doute de Tik-Tok USA), s’ingère dans différentes élections européennes, insulte des gouvernants, diffuse des désinformations illégales, abuse de son algorithme…

Ce qu’on lui tolère sans réaction ne serait accepté d’aucun État. Mais les dirigeants européens, tétanisés, sont privés de volonté et de cohésion.

Nous allons payer très cher ces lâchetés et cet aveuglement. Car TRUMP comme MUSK sont des dealers. Ils foncent avec violence dans tout ce qui leur semble un obstacle et qui semble mou. Ils vont entraîner tout le monde de la TECH, mais aussi des énergies fossiles, des industries de pointe et du complexe agro-alimentaire (bref, une véritable oligarchie) derrière eux pour nous écraser. Depuis 70 ans, nous acceptons une soumission commerciale, et souvent diplomatique, en échange du « parapluie » militaire américain, contre l’URSS, puis la Russie. Mais les dirigeants américains y mettaient des formes et de la mesure, ne serait-ce que pour apparaître le camp de l’espérance et de la liberté.

Ce temps est terminé. Pour être en mesure de faire face à une Chine qui rêve de leadership mondial, pour préserver les déséquilibres économiques à leur avantage, les USA (et pas seulement l’administration TRUMP) sont entrés en mode de guerre économique avec le reste du monde, alliés compris. Aucun idéal ne vient plus masquer la façade, aucun autre intérêt de long terme ne vient plus intégrer l’analyse, aucune autre vision du monde ne pèse face à cet enjeu de leadership pour préserver, la richesse, la puissance et la domination technologique. L’essentiel étant de dessiner le monde nouveau en fonction des intérêts de ce que nous appelions le nouveau monde. Et il faut bien reconnaître que de leur point de vue, malgré les tremblements et les pleurnicheries de nos dirigeants du vieux continent, les dirigeants américains ont raison, et sont soutenus par leur peuple, ce qui n’est plus notre cas. Ils défendent leurs intérêts par tous les moyens, car les États n’ont que des intérêts et pas d’états d’âme !

Mais justement TRUMP, MUSK et l’oligarchie qui se met en place savent reculer lorsque l’obstacle résiste, lorsque des concurrents affichent leur détermination, lorsque la proie sait se faire dangereuse. L’Europe ne sait pas le faire, mais elle le pourrait. Car nous restons un marché vital pour les États-Unis, même pour rester en mesure de financer leur compétition avec la Chine. Grâce aux efforts des générations qui nous ont précédés, nous restons une puissance qui s’ignore et se refuse à elle-même. Nous restons une pièce maîtresse dans le jeu occidental, une pièce dont les USA ont besoin qu’elle se soumette mais dont ils ne pourraient pas se passer si nous nous décidions à défendre sérieusement, nous aussi, nos intérêts.

Comme tous les gosses de riches, nous dilapidons notre capital chèrement acquis par nos aînés, et à terme bref notre indépendance et notre liberté.

Pourtant, notre puissance de consommation, nos capacités règlementaires, notre positionnement géographique (entre l’Afrique, la Russie et le Moyen Orient), nos capacités de formation sont autant d’atouts dont le USA ont besoin dans l’affrontement qu’ils préparent. Notre possibilité de partenariat avec l’Inde, et même la Chine, sont des leviers de pression inexploités. Notre  position géographique sur la Méditerranée, mais surtout sur la sortie de l’arctique qui se dégèle et constitue une nouvelle route commerciale (vitale pour les concurrents des USA) à venir nous donne des armes insoupçonnées.

Mais mais la politique est affaire de volonté et de vision. De volonté et de vision partagées, nous n’en n’avons plus. Nos dirigeants sont aveuglés. Et en Hongrie, en Slovaquie, demain peut-être en Roumanie, nous avons déjà des chevaux de Troie. En Grande-Bretagne, ceux qui ont voulu faire les malins (et surtout cavaliers seuls) ont placé leur pays en situation d’extrême dépendance. En Allemagne, en France ou en Autriche, le camp de la soumission et de l’isolement progresse dangereusement à travers l’extrême droite, tous soutenus par M. MUSK et pas innocemment… Car cela sert l’oligarchie américaine et ses intérêts.

Rien n’est encore perdu. Mais beaucoup de choses sont mal engagées. Il nous reste si peu de temps, si peu de visions et si peu de dirigeants lucides.

L’Europe doit se reconfigurer totalement en abandonnant une vision excessivement multilatéraliste, incluant des pays qui n’en veulent plus et servent d’autres intérêts. C’est cepressentiment  qui avait construit mon opposition au référendum de 2005 (quand tout le monde était aveuglé, et que les eurobéats excommuniaient ceux qui ne partageaient pas leur aveuglement). L’Europe doit abandonner le culte immodéré du libre échangisme, y compris en interne, qui n’a fini par servir que les intérêts de puissances extérieures à l’Europe, en compétition entre elles sur notre dos. L’Europe doit enfin consacrer plus de moyens à sa défense (c’est-à-dire à sa liberté et son indépendance) qu’à son confort, comme elle a su le faire pendant la guerre froide.

En sus, dans de telles circonstances, la France doit repenser sa doctrine de dissuasion nucléaire pour l’étendre au continent libre et qui n’est pas sous influence extérieure ; et ça elle peut le faire seule. La Grande-Bretagne serait de fait conduite à y réfléchir aussi.

Réintroduire dans l’esprit public l’idée de puissance légitime, de liberté et d’indépendance pourrait nous donner la force de résister à un monde qui commence à se dessiner sans nous, contre nous. Réaffirmer des enjeux plus forts que nos propres États (les changements climatiques dont nous serons les principales victimes, notre indépendance agricole ou sanitaire par exemple) pourrait nous permettre de relever la tête. Réaffirmer une vision du monde et de l’avenir en commun, plutôt que l’égoïsme national et l’aveuglement (certes populaire) de l’intérêt immédiat, pourrait nous redonner la force de combattre ensemble.

Car le pire de ce qui est en train de se passer aux USA, et de notre faiblesse volontaire, n’est pas tant qu’ils soient en mesure de faire triompher leurs intérêts immédiats. C’est qu’avec le tournant en cours ils vont gagner en richesses, en puissance et en domination mais transformer leur étendard du « rêve américain », attractif et propagateur, en impérialisme sans légitimité et donc insupportable. Et ça c’est la première pierre des effondrements des empires et de leurs commettants, que nous avons accepté d’être.

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Jean-Christophe LAGARDE
Jean-Christophe LAGARDE, membre Honoraire du Parlement.

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Débattons-en ensemble ! ⤵️

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