Après les élections législatives issues de la dissolution impromptue voulue par le Chef de l’État Français, la France surprend l’Europe et le Monde. Tant par sa profonde (et durable ?) tripartition politique, par le poids des deux extrêmes, que par l’insécurité politique qui en découle, alors que notre régime était réputé pour sa stabilité depuis 1958.
Les investisseurs ont déjà mis le doigt sur la touche pause. Les partenaires européens s’engouffrent dans la faiblesse française, aujourd’hui dans la répartition des postes à Bruxelles, demain dans les politiques à conduire. La Russie sait que nous sommes encore d’avantage hors jeu pour le leadership dans la défense de l’Ukraine. La Chine comprend que la voie que la France tentait de faire adopter à l’Europe dans l’affrontement entre les USA et Pékin n’a plus de porteur crédible. Surtout à l’heure où le retour de Trump à la Maison Blanche semble inexorable.
En France, après la stupeur et la frayeur qu’ont fait naître ces élections que personne ne souhaitait, hormis un Président enfant à l’égo blessé et obsédé par lui même, nos concitoyens affichent la consternation de la lucidité.
Consternation, en voyant à quel point notre pays est divisé et prêt à se livrer aux extrêmes. L’extrême droite d’abord qui n’échoue à conquérir le pouvoir que par la faute de candidats mal choisis, conduisant à une mauvaise campagne, mais surtout par la résurrection d’un Front Républicain opportuniste. Dans les états majors, celui-ci doit moins aux valeurs à défendre ensemble qu’au besoin équitablement partagé par le NFP, les macronistes et les LR de sauver suffisamment de sièges pour survivre et espérer en 2027. L’extrême gauche ensuite car, si tout le NFP n’est pas extrémiste, tous (socialistes, écologistes et communistes) vivent le couteau sous la gorge face à LFI, sous la totale influence de son leader et de son projet, comme ce fût le cas en 2022.Et ces deux extrêmes, qui regroupe les deux tiers des électeurs, ne rêvent que de disqualifier le bloc central pour mieux s’affronter et éliminer « l’ennemi » d’en face… Bref, les deux tiers veulent avant tout disqualifier, éradiquer le dernier tiers…
Consternation, en constatant (il fallait s’y attendre) que les partis de gauche, réunis sous leur nouveau logo NFP pendant la campagne – après d’être insultés pendant deux ans- se déchirent dés le lendemain sans discontinuer, après avoir chanté victoire de façon éhontée et revendiqué le pouvoir dés le 7 Juillet à 20h15… Ce soir là, les « partis de Gouvernement » issus du NFP n’ont pas vu l’énorme piège tendu par Mélenchon en direct lorsqu’il a prétendu qu’ils avaient une majorité pour gouverner. De fait, il les a enfermés dans son giron (« tout le programme, rien que le programme ») et les « insoumis » ont ainsi soumis les seuls vrais vainqueurs de l’élection ; le PS et les Verts dont le poids relatif à gauche a doublé tandis que les effectifs de LFI stagnaient ! Mais, de la même façon que cette dissolution absurde a brisé net les espoirs de la gauche sociale-démocrate de relever la tête après le score de M. Glucksman aux éuropéennes, cet oukase mélenchonien a privé ses « partenaires » vassalisés de toute marge de manœuvre. Et ils ont foncé tête baissée dans la nasse… Depuis, les électeurs de gauche, qui voulaient barrer la route de Matignon à Bardella sans trop savoir ce pourquoi ils votaient, assistent au spectacle minable des querelles de boutiques qui n’ont pas en tête de gouverner. Mais seulement de préparer 2027 en tentant d’imposer un leadership (dans le meilleur des cas), ou au moins d’éviter qu’il en existât un concurrent ! De fait la prétention du NFP à gouverner est une imposture ridicule, un déni de démocratie, puisqu’avec un effectif d’environ 200 Députés et un programme jusqu’au boutiste, ils font face à 377 parlementaires qui feraient rapidement tomber le 1er Gouvernement issu de leur rang, et les suivants, en quelques jours. Cette « prétention » ne sert en réalité qu’à nourrir le piège de LFI et à activer les rapports de force au sein du NFP.
Consternation enfin, en observant le bloc central (à définir comme cet espace morcelé de ceux qui ne veulent ni de LFI, ni du RN), incapable de conduire un échange politique responsable sur des projets, des compromis acceptables par une majorité, y compris le groupe socialiste dans lequel François Hollande est revenu en espérant miner de l’intérieur les porteurs d’eau de LFI. Tout cela parce que tous sont piégés et obsédés par la future présidentielle, seule à même de refonder un autre paysage politique. Les macronistes libérés de leur « conducator », revanchards à son égard, sont à la recherche de leur futur champion, règlent leurs comptes, et ne savent pas sur quelles bases politiques ils pourraient nouer des partenariats, même minimalistes. Il faut dire que 7 ans de Jupitérisme ont déshabitué la plupart à penser par eux-mêmes. Les « Philippistes » ont su jouer habilement leur « démacronisation » avant tout le monde, sans être déloyaux. Ils cherchent désormais à s’élargir sur leur droite (LR) et sur leur gauche (Renaissance) pour améliorer la rampe de lancement de leur champion. En rassemblant autour de l’ancien 1er Ministre ceux qui en ont assez de la dextrisation des Républicains -qui a accouché de la trahison Ciottiste- et de la macronie finissante. Les « Républicains » sans guide suprême (un comble pour un parti gaulliste), renâclent à suivre Laurent WAUQUIEZ qui veut se mettre en selle pour 2027, sans considération de la situation présente. Pour eux, une coalition signifie la fin de tout espoir pour 2027 ; son absence une probable disparition à la même échéance. Le Modem n’a plus de carte à jouer, faute de présidentiable, et se réfugie dans son rôle préféré de Pythie. Avec à leur tête à l’Assemblée un fin politique comme Marc FESNEAU, ils peuvent juste espérer peser au cas par cas, si M. BAYROU lui en laisse la liberté.
Avec tout ça, les français, l’Europe et le reste du monde commencent à se demander si nous n’avons pas la classe politique la plus bête du monde… Et la moins responsable. En fait, la seule majorité existante en France rassemble les Français consternés.
Il arrive pourtant souvent dans les autres démocraties, plus matures et moins binaires, que des gouvernements doivent se constituer sur la base de compromis qui ne valent pas alliance politique, mais seulement le souci de l’intérêt général en attente de nouvelles élections. Mais chez nous, hélas, hélas, hélas, compromis signifie compromission. Alors que c’est la quintessence d’une démocratie parlementaire, par opposition à un présidentialisme autoritaire.
Les compromis furent au cœur des IIIème et IVème Républiques, dont l’instabilité gouvernementale fût à juste titre stipendiée par les pères de la Vème, mais qui eurent des Parlements efficaces. Cette instabilité, nous pourrions facilement nous en passer, du fait de l’élection par tous les citoyens du Chef de l’État, en supprimant la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée. Celle-ci serait libérée des allégeances majoritaires ou d’opposition et pourrait devenir enfin réellement « le législateur ». Le Gouvernement serait enfin contraint à négocier avec les représentants du peuple, plutôt que de leur en imposer.
Les compromis, qui ont gouverné de 1871 à 1958, ont apporté à la République les plus grandes lois que tous portent au pinacle aujourd’hui. Loi sur la liberté de la presse, loi sur la liberté d’association, loi sur la laïcité, loi sur le droit de vote aux femmes, etc…, toutes sont issues de ces régimes stipendiés aujourd’hui. On ne voit guère que les lois Veil, Badinter et Taubira pour être comparées sous la Vème. Et encore furent elles, là aussi le fruit de débats parlementaires libres, où chaque parlementaire s’émancipa de la discipline de son camp (clan ?) pour voter en liberté.
Les compromis, c’est aussi pourtant ce qui se pratique toutes les semaines, la plupart du temps à l’insu des citoyens, dans les navettes entre l’Assemblée Nationale et le Sénat, notamment lors de Commissions Mixtes Paritaires, où le Gouvernement et les deux chambres lâchent chacun un peu de lest en se concentrant sur ses objectifs principaux.
Ce qu’on ne dit plus aux français depuis 66 ans, c’est que les deux Républiques précédentes si décriées, régirent tout de même des périodes parmi les plus resplendissantes de l’histoire de notre Nation. Sous la IIIème, la France écrasée à Sedan, redevint pour plus d’un demi-siècle une des premières puissances mondiales sur les plans économique, culturel et scientifique. Ce régime ne se fracassa que sous l’aveuglement et l’effondrement militaire de 1940. De façon similaire, c’est sous la IVème que la France meurtrie et ruinée par la Guerre s’est reconstruite économiquement et socialement ; ce dont bénéficia l’immense Général de Gaulle et qu’il sut amplifier. Elle aussi se brisa sur une guerre, de décolonisation cette fois. Ces régimes, coutumiers des compromis, dont le mode de scrutin les portait en germe, n’étaient pas les régimes impuissants et nuisibles dont on nous impose la description depuis 1958 !
Mais ce n’est officiellement pas dans notre culture de la Vème. Et aucun aspirant à l’Élysée n’a envie que cela le devienne pour ne pas risque de voir son hypothétique pouvoir réduit en cas de succès futur. Ce n’est pas simple, non plus dans ces circonstances inédites alors que se profilent déjà deux élections. La probable nouvelle législative dans un an, du fait d’une France ingouvernable. Cela rend rarement les Députés courageux… Mais surtout, du fait de la très certaine Présidentielle qui aura lieu en 2027, ou avant, dont la perspective et la nature totalement binaire du second tour paralyse des forces politiques différentes, mais qui pourraient s’accorder momentanément dans l’intérêt de la France.
Malgré l’élection de la nouvelle Présidente de l’Assemblée Nationale, il y a fort à craindre qu’une coalition provisoire basée sur des compromis ne voit pas le jour. Mais, à l’image de cette élection, que l’Assemblée Nationale soit ballotée entre des regroupements momentanés par refus de ce qui paraît pire. Pas de dynamique positive donc, juste une succession de réactions en contre.
Pourtant, au moment où le Chef de l’État est devenu totalement impuissant, et même sans poids sur ses propres amis, où l’axe du pouvoir s’est très fortement déplacé au Parlement (au moins pour un an), l’ensemble des parlementaires devraient réfléchir à profiter de la situation pour rééquilibrer la Vème République afin de la rendre moins autoritaire et plus encline aux compromis.
Ce rééquilibrage pourrait permettre de garantir une stabilité de l’exécutif tout en garantissant le dialogue et favorisant les compromis qui, seuls permettent d’avancer.
Ils peuvent le faire en s’accordant sur un mode de scrutin d’avantage proportionnel qui représenterait mieux les citoyens et n’imposerait des alliances « prisons » contre nature comme ce qu’on voit du côté du NFP. Mais surtout, il rendrait plus normales et classique la recherche de coalitions majoritaires par la discussion plutôt que par la soumission au Chef de l’Etat.
Ils peuvent le faire en adoptant un texte Constitutionnel supprimant la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée, limitant l’article 49-3 aux deux seuls projets de lois de finances, imposant le contrôle des décrets d’application (avant publication) par les commissions parlementaires, renforçant le contrôle parlementaire sur les opérations militaires extérieures et imposant un mandat de négociation au Gouvernement sur les textes européens (ce que font les allemands et leur donne une grande force dans les négociations).
Ils peuvent le faire en profitant de cette année si particulière pour adopter de façon très libre des textes attendus sur des sujets qui sont dans l’air depuis longtemps : loi de décentralisation bien plus large qu’aujourd’hui, loi sur la fin de vie, loi facilitant la rotation et donc l’accès au logement social, lois de simplification sur la construction, la réalisation de création de grands équipements, ou la création d’entreprise, etc…
Il y a hélas fort à craindre qu’on n’en prenne pas le chemin.
La seule chose que cette Assemblée sera, en tout état de cause, incapable de faire, c’est de réaliser les 25 milliards de réduction du déficit, dont la Cour des Comptes comme l’Union Européenne montrent qu’ils sont indispensables. Personne ne fera pourra faire preuve de courage budgétaire à 12 mois d’une probable dissolution et à 3 ans d’une Présidentielle dans un tel contexte.
Et c’est bien ce qui va précipiter la France, déjà engluée politiquement, dans une crise de la dette qui va nous coûter très cher… Toutes ces impasses n’empêchent pas M. MACRON de faire le malin et de dire qu’il avait raison de dissoudre…
Finalement, si aucune coalition positive viable ne se forme (même provisoirement), si le Parlement ne profite pas de cette période pour rééquilibrer la Vème République et si les marchés financiers s’attaquent à notre dette, il ne restera qu’une nouvelle élection présidentielle pour que les Français nous sortent des ornières dans lesquelles l’encore Président de la République nous a plongés.
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