En 1976, Emmanuel TODD prédisait l’effondrement de l’Union Soviétique dans son ouvrage « La Chute Finale ». Il avait repéré dans les statistiques (pourtant falsifiées et enjolivées) de cette dictature communiste les signes avant coureur d’un dysfonctionnement total de la société soviétique. En regardant les statistiques des taux de mortalité infantile, de suicides et d’autres révélateurs socio-économiques, il avait décelé avant tout le monde les failles béantes de ce bloc de l’Est qu’on croyait immuable et invincible. 13 ans après le bloc de l’Est s’effondrait.
Même s’il faut se méfier des analogies, nous devrions nous interroger sur les statistiques de notre pays et sur ce qu’elles révèlent de son évolution ; de son avenir.
Alors que nous étions les meilleurs du continent dans les années 90, la France est devenue un cancre de l’Europe en matière de mortalité infantile. Celle-ci augmente depuis 2021 et s’établit à 4,1 pour mille contre 3,3 en moyenne en Europe et 2,5 en Suède. Nous sommes 23èmes sur 27. La honte, c’est que ces chiffres ne créent aucun débat.
Ces chiffres traduisent assurément autant la dégradation générale de notre système de santé que notre incapacité à avoir le courage d’identifier clairement les causes de cet échec. Pourtant nous avons le système d’assurance maladie le plus généreux d’Europe. Il coûte très cher mais n’obtient pas de meilleurs résultats que dans les autres pays. Pire notre espérance de vie n’est pas meilleure. Nous sommes donc dispendieux et inefficaces. Mais le pire c’est que nous refusons de le regarder en face et donc d’y remédier.
Le problème c’est que c’est un symptôme général qui pourrait s’appliquer à l’action publique d’État dans notre pays.
Nous devrions aussi avoir honte et réagir face aux statistiques des résultats de notre système éducatif. Depuis deux décennies, nous ne cessons de reculer dans toutes les enquêtes internationales, qu’il s’agisse du classement des écoles d’élites ou du niveau général de nos élèves. Il suffit de lire les courriers de jeunes français pour se rendre compte de l’affaissement de la maîtrise de la langue. Mais le pire semble être dans les sciences mathématiques, pour lesquelles nous sommes toujours capables de produire parmi les meilleures têtes du monde (que le monde nous achète), mais où le niveau de tout le reste de la population recule dramatiquement. D’autant plus dramatiquement que des révolutions technologiques sont en cours, qu’elles vont bouleverser l’ensemble des sociétés du monde, et que la maîtrise ou un minimum de culture scientifique seront nécessaires à chacun pour y trouver sa place.
Là aussi, nous sommes un des pays qui dépense le plus pour l’éducation ; mais incontestablement le plus mal. Nos profs sont parmi ceux qui travaillent le moins, sont les moins bien payés et les moins bien formés. Le métier devient si peu attractif, qu’on en est à recruter des intérimaires… Nos enfants sont ceux qui ont les plus longues journées d’école, mais le moins de jours d’école dans l’année. Les rythmes scolaires sont prévus pour complaire aux enseignants, aux parents et à l’industrie du tourisme, pas aux rythmes des enfants.
Et là où nous devrions avoir un sursaut national pour redresser la barre, rien ne se passe, si ce n’est que nous avons eu 7 Ministres de l’Éducation Nationale en 8 ans… (dont 6 en deux ans). De quoi s’assurer qu’aucune politique de long terme n’est mise en œuvre. Pourtant, par nature, l’éducation est par excellence la politique du temps long puisqu’il faut minimum 13 ans entre le moment où un enfant rentre à l’école et celui où il en sort prématurément. Là encore, les statistiques sont là, brutales et cruelles. Mais nous refusons de nous confronter à la réalité.
Intéressons nous aussi aux chiffres de la recherche.
Malheureusement, le phénomène se répète. Nos dépenses de recherche (publiques et privées) sont à peine stables pendant que celles du reste de l’Europe ont respectivement augmenté de plus de 40% pour l’une et de plus de 45% pour l’autre. Encore faut-il faire la part de l’utilisation de ces recherches dans la création de richesses, et là aussi nous faisons moins bien que nos concurrents. Nos chercheurs sont mal payés, nos laboratoires mal financés, nos universités sous dotées, ce qui rend illusoire les déclarations actuelles sur la volonté d’accueillir les chercheurs américains en déshérence depuis que TRUMP a lancé sa croisade anti-sciences. Ils choisiront des pays voisins plus attractifs.
Si le nombre de publications scientifiques progressent dans notre pays, c’est bien moins que dans les autres pays comparables. Entre 2005 et 2023, le nombre de publications scientifiques a progressé de 45% en France, 70% en Allemagne, 80% au Royaume-Uni et 250% en Italie. Sans parler des USA (+45% mais avec un effet de volume important) ou du rattrapage de pays comme la Chine et l’Inde, respectivement +650% et +750%). Effet de volume et de rattrapage certes, mais il n’en reste pas moins que les chiffres bruts restent significatifs. En France 122 000 publications en 2023, contre 714 000 aux USA, 306 000 en Inde et un million en Chine ! Quant à nos voisins, plus comparables , c’était 238 000 au Royaume-Uni, 202 000, et 155 000 en Italie.
Ne pas voir dans ces statistiques un déclin français et une redistribution des richesses et puissances mondiales est un aveuglement qui menace gravement notre avenir et notre indépendance.
Ces trois domaines ont en commun des dépenses plus importantes par rapport à nos résultats, notre absence de volonté de le regarder en face et d’y porter remède.
Mais ils ont aussi en commun d’être tous des vecteurs indispensables de l’avenir d’une Nation.
Ils sont aussi les signaux d’alerte de bien des dérèglements du système français que nos concitoyens perçoivent clairement dans leur quotidien, sans forcément être en mesure de les analyser, faute de débats de fonds.
Les fonctions principales de l’État régalien sont en faillite.
L’insécurité progresse, la perte d’autorité est partout, la justice trop lente et endogène, l’éducation en recul, les services de santé de moins en moins accessibles, nos armées insuffisantes pour nous défendre et en mode échantillonnaire, quant à notre diplomatie elle est en échec à peu près partout, surtout en Europe et en Afrique.
A force de se vouloir hyper protecteur dans les champs économique et social, qui peuvent avoir d’autres modes et acteurs de régulation plus efficaces, l’État finit par ne même plus être capable d’assumer les fonctions que lui seul peut prendre en charge. Pendant ce temps nous refusons de voir qu’un trop grand nombre de nos politiques publiques sont devenues aussi coûteuses qu’inefficaces. Et pourtant elles ne sont que peu remises en cause.
Les deux exemples les plus récents de nos maux et de nos hypocrisies publiques sont le bouclier énergétique et le débat sur le réarmement.
Les boucliers énergétiques (2021 et 2024) ont coûté près de 23 milliards d‘euros, pour quelle utilité? Les français n’ont pas payé tout de suite l‘énergie qui était devenue plus chère. Mais ils doivent désormais le payer alors que le prix de l’énergie a baissé, sans que le prix que nous payons fasse de même. Car cet argent est dû aux entreprises à qui on avait refusé des augmentations de prix. Au final, l’État s’est endetté pour rien et les taxes payées par nos concitoyens pour compenser dureront plus longtemps et seront plus élevées que si on avait accepté la loi du marché. Un bel exemple de démagogie française.
A cause de TRUMP et POUTINE, tout le monde prend enfin conscience de la nécessité de nous réarmer pour éviter de devoir subir une guerre dévastatrice. Mais personne ne dit comment. Pire, en synthèse, tous prétendent déployer chaque année 40 milliards de plus pour notre défense mais sans creuser la dette, sans augmenter les impôts et sans diminuer nos dépenses… UN ÉNORME MENSONGE. Qui montre que nous ne ferons rien d’autre que de nous payer de mots, comme le fait Emmanuel MACRON qui parle depuis trois ans “d’économie de guerre” mais n’a rien fait de significatif de 2022 à 2024 (quand il avait le pouvoir). L’Allemagne, la Pologne et bien d’autres vont se réarmer car leur budget et leur endettement le leur permet. Ils ont fait des choix. Incapables de faire des choix, nous irons jusqu’à mettre en danger notre liberté et notre indépendance.
Les chiffres, implacables, nous le montrent. La France paralysée dans un laisser-aller coupable et confortable, aveuglée par des dirigeants qui n’osent plus dire la vérité aux français, tétanisée par les oukases absurdes et démagogiques venant des extrêmes droite et gauche, est en train de décrocher dans de nombreux domaines tout en perdant progressivement son indépendance, donc la liberté et sa puissance.
Il faudrait de nombreuses ruptures avec nos habitudes de pensées fainéantes pour redresser la barre avant notre effondrement qui se dessine. Un candidat en 2027 aura-t-il le courage de les proposer? Les français auraient-ils la lucidité de l’écouter et de le suivre ?
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