Ainsi donc les partenaires sociaux ont été « invités » par le nouveau gouvernement Bayrou, qui a fait de la réforme des retraites un instrument de marchandage politicien avec le Parti socialiste, à trouver, en trois mois, des solutions pour pérenniser le système des retraites par répartition en revenant potentiellement sur la mesure d’âge de la réforme Borne adoptée en 2023.
Au delà de la gageure qui consisterait en un temps record à aligner des positions jugées irréconciliables entre syndicats salariés et organisations patronales, il est des invariants objectifs qui ramènent immanquablement à une question centrale, celle du temps de travail de chacun tout au long de sa vie.
Ces invariants objectifs sont les suivants :
Le premier est le déséquilibre croissant entre actifs et retraités qui sape petit à petit le principe de répartition, qui veut que les actifs d’aujourd’hui assurent par leur travail, et les cotisations qui y sont attachées, les pensions des actifs d’hier. Le ratio démographique, nombre de cotisants pour un retraité, connaît une baisse tendancielle notamment du fait de l’allongement de la vie mais aussi des variations démographiques . Il est donc sensible au taux de natalité qui lui aussi est en baisse tendancielle .
Ce ratio s’établit pour le régime général à 1,4 mais connaît des disparités à l’intérieur des différents régimes de retraite .
Il était de 4,3 en 1965 et n’a connu depuis qu’une décroissance lente mais constante, exception faite de périodes de croissance économique soutenues (1998-2002 ou encore 2017-2019 par exemple ou le ratio progresse légèrement).
Le deuxième invariant est la dépendance de la capacité de financement au niveau de croissance économique, à la production de richesse et donc au travail en général. Et compte tenu de la forte sensibilité de cette croissance à un environnement mondial incertain , la prévision et donc l’anticipation des besoins sont difficiles à appréhender sur le long terme .
Il est cependant des facteurs qui sont propres à notre pays .
Le taux d’activité en général et celui des jeunes et des seniors est plus faible en France que dans la plupart des pays de l’Union européenne.
S’établissant à 68,1 % le taux d’emploi général des 16 à 64 ans place la France au 21e rang des pays de l’Union européenne.
Le taux de chômage des jeunes français de moins de 25 ans est de 18% pour 2024 , il est en moyenne de 14,8 % dans l’Union européenne.
En 2021 (dernières données agrégées disponibles) , le taux d’emploi des seniors (55-64 ans) en France est de 55,9 % qui place notre pays au 17e rang des pays de l’UE dont la moyenne est de 60,5 % (76,9 % en Suède ) .
Avec 1668 heures de travail annuel effectif en 2024 , la France se place en revanche au deuxième rang de l’Union européenne des pays qui travaillent le moins ! Avec l’Allemagne proche de la moyenne européenne qui se situe au 12e rang , l’écart annuel est de 122 heures soit l’équivalent de 3 semaines de travail d’écart .
L’ensemble de ces données, qui rentrent en ligne de compte dans la capacité de financer le régime des retraites, montrent un autre fait : nous avons en France un problème avec le travail !
La mise en place uniforme et autoritaire en 2002 des 35 heures hebdomadaires dans tous les secteurs du public et du privé (au delà des conséquences désastreuses qu’elle a pu avoir en termes d’organisation par exemple à l’hôpital, qui ne s’en est jamais remis) a marqué une fracture du rapport des Français au travail, au delà même du surenchérissement du coût du travail et de l’absence d’effets réels sur le chômage ,
Difficile aujourd’hui d’imaginer demander à nos concitoyens de « travailler plus pour gagner plus » tant le poison culturel de « l’éloge de la paresse », cher à Paul Lafargue, a instillé un rapport vicié au travail dans notre pays .
La proposition de la ministre du travail de travailler 7 heures gratuitement pour financer la partie dépendance du régime de la sécurité sociale a immédiatement reçu un accueil scandalisé sur tous les bancs politiques.
Les partenaires sociaux auraient pour autant tout intérêt à poser la question du travail et du temps de travail sur la table des négociations en matière de retraite.
Nous proposons qu’ils le fassent sous l’angle nouveau du temps de travail tout au long de la vie professionnelle. Résumé de manière un peu simpliste , le jeune actif , possédant de meilleures capacités , physiques, intellectuelles et psychologiques devrait travailler plus longtemps en termes d’horaires hebdomadaires et annuels que le senior en fin de carrière , fatigué physiquement et mentalement.
Cela implique en premier lieu de mettre un terme à l’uniformité du temps de travail, peut être même à une durée légale dudit temps de travail . Cela implique aussi de la concertation secteur par secteur, dans le public comme dans le privé, qui sans doute prendraient plus que trois mois. Cela implique aussi une prise de conscience collective et une prise de responsabilité individuelle de chacun d’entre-nous.
Le système par répartition de nos retraites est fondé sur la solidarité nationale. Cette solidarité implique aujourd’hui et encore plus demain, cette prise de conscience collective et cette prise de responsabilité individuelle .
À défaut c’est un autre système de retraite qui s’imposera, beaucoup moins juste, celui de la capitalisation individuelle fondée sur le chacun pour soi.
L’une ou l’autre des voies suivie ou subie dépendra largement de la place que notre société donnera au travail et à ce qu’il représente pour chacun.
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