La dissolution caractérielle et égotique décidée par le Chef de l’État le 9 Juin dernier est un de ces actes irresponsables qui marquent l’histoire d’un pays. L’enfant gâté, à qui tout souriait dans la vie jusqu’alors, n’a pas supporté l’image que le miroir des français lui renvoyait de sa présidence, de lui-même… Sans doute vivait-il comme une injustice que les français lui aient (à raison) refusé une majorité absolue à l’Assemblée Nationale après sa réélection de 2022.
C’était oublier que son second mandat n’était dû qu’à l’absence de concurrence crédible en dehors des extrêmes, lui qui s’était acharné pendant 5 ans à démolir tous les autres partis de Gouvernement pour garantir sa victoire.
C’était oublier que le mépris et l’ignorance dont il a fait preuve pendant 5 ans, pour tous les français qui ne sont pas dans les premiers de la classe et qui souffrent tout en respectant les règles du jeu ne pouvait que générer du rejet chez les 75% de français contre qui il gouvernait.
C’était oublier que lui, qui fut élu sur une promesse politique de dialogue et de compromis, n’a eu de cesse de concentrer les pouvoirs, de refuser de transiger avec ses amis comme avec les autres, d’écouter et de comprendre ceux qui ne pensaient pas comme lui et connaissaient la France réelle mieux que lui.
C’était surtout oublier que depuis l’épisode des « gilets jaunes », ce Président n’a plus de cap, ne sait pas où il nous emmène et navigue à vue dans toutes les politiques conduites, même celles qui demandent le plus de vision et constance. Et que notre peuple français, incroyablement politique jusqu’au bout des ongles, l’avait compris depuis longtemps.
Combien de revirements (et de formules du BAC) dans les domaines de l’Éducation, domaine de long terme par essence ? Combien de changement de pied dans les politiques d’énergie nucléaire, alors que par définition chaque décision engage un demi-siècle, comme avait su le faire Valéry GISCARD D’ESTAING et le comprendre François MITTERRAND. Combien de « stratégies » si successives face aux djihadistes en Afrique, qu’il restera comme le Président qui a fait « viré » la France d’une bonne part de son aire d’influence historique ? Combien d’hésitations et de coups de barre à gauche et à droite sur les politiques d’autorité, de sécurité et d’immigration, si bien que même Gérard Collomb, son Ministre de l’Intérieur, signa l’épitaphe de sa présidence lors de son départ de Beauvau ? Combien de lamentations, d’humiliations et d’agitations masquant l’impuissance » face à Poutine et à son agression en Ukraine ? Combien de fois a-t-il successivement insulté l’histoire coloniale de la France, les Gouvernements algériens et Marocains, au point de nous fâcher avec les deux ? Combien de visions a-t-il eu successivement de notre système de retraite, cette clef de voute de notre pacte social ?
Depuis fin 2018, la liste de ses errements, des tâtonnements et des revirements serait si longue qu’elle remplirait un livre entier. La seule ligne politique sur laquelle il s’est arc bouté, c’est la baisse des impôts pour les 25% de français qui s’en sorte bien, qui vivent dans et par la mondialisation. Logique, c’est cette France là qui l’a fait élire et lui est restée fidèle quoiqu’il advienne jusqu’au élections européennes du mois de Juin dernier.
Mais voilà que pour la première fois, son socle électoral s’est brisé le 9 Juin dernier (10 point de moins que son socle et 8 points de moins qu’en 2019, alors même qu’il ne subissait pas de concurrence de la liste UDI de 2019 qui avait obtenu 2,50%). C’est sans doute ce qui l’a conduit à vouloir renverser la table.
Comme on le sait, mal lui en a pris puisqu’au lieu de la majorité relative issue des urnes de 2022, il se retrouve aujourd’hui sans majorité possible à l’Assemblée Nationale et s surtout son groupe politique représente désormais moins de 15% des députés contre 30% auparavant. Pire encore, ses alliés Modem et Horizons ne le suivent plus et cherchent à s’autonomiser le plus possible.
Malgré cela, le Président de la République a ajouté une faute à ce qu’était déjà la folie de la dissolution, en refusant de nommer la candidate du NFP à Matignon. Ce refus a trois conséquences politiques majeures.
La première c’est qu’elle crédibilise le mensonge invraisemblable du NFP quand il prétend avoir gagné les élections et pouvoir gouverner. S’il avait nommé Mme CASTETS Première Ministre, elle aurait été immédiatement renversée par l’Assemblée Nationale convoquée en session extraordinaire, avant même de pouvoir former un Gouvernement ou prendre quelque décret que ce soit. Avec moins d’un tiers des sièges à l’Assemblée (dont un gros tiers de LFI qui sont des repoussoirs pour tous les autres), aucun Gouvernement de gauche n’a de chance de survie.
En refusant de la nommer, il favorise le discours facile de ceux qui prétendent vivre un viol démocratique et enracine une frustration dans le peuple d’une gauche très divisée, mais qui se fait là une unité de façade à bon compte. Il est certain que le moteur des futures campagnes à gauche s’appuiera sur ce soit-disant hold-up.
La seconde conséquence c’est que ce refus de laisser la candidate NFP échouer, enferme la gauche de Gouvernement, la gauche raisonnable, celle qui a bien compris qu’on ne pourrait faire avancer le pays que par des compromis dans ces circonstances. Cette gauche est prisonnière du piège tendu par M. MELENCHON, avec la complicité de M. MACRON. Car aucun élu ou responsable de gauche ne peut se désigner comme celui qui aurait trahi le NFP, qui plus est pour accompagner un prétendu « viol démocratique ». Et cela au moment même où le score de Raphaël GLUCKSMAN aux européennes redonnait à la gauche sociale-démocrate l’envie et les possibilités d’exister.
La troisième conséquence, tout aussi lourde, c’est qu’en laissant PS, PC et Verts otages de LFI, il les a soudés en opposition à toute alternative. Ce faisant, il place l’ensemble de qu’il appelle « le bloc central » à la merci des humeurs, décisions et chantages de Mme LE PEN. Si bien que le RN a pu récuser deux Premiers Ministres avant même leur nomination, et s’est payer de luxe de donner un « oui conditionnel » pour accepter la nomination de Michel BARNIER. Dès lors, le NFP peut multiplier les motions de censure et seul l’extrême droite aura droit de vie ou de mort sur tout Gouvernement. Et ils ne se priveront pas de pousser leur avantage dans le contenu de chaque texte débattu, tout en progressant encore dans leur stratégie de banalisation de l’extrême droite. C’est donc carton plein pour Mme LE PEN, au moment même où elle venait de subir une défaite contrastant fortement avec les prévisions qui la donnait gagnante. Chapeau l’artiste présidentiel !
On dira qu’il fallait bien chercher une solution pour gouverner la France, faire face à un déficit qui dérape, à une économie que la récession menace, à une éducation en berne, à la sécurité en difficulté, etc… Mais c’est un trompe l’œil.
Car aucune politique un tant soit peu stable ne peut sortir d’une telle assemblée, privée de toute capacité à faire des compromis.
Un budget sans colonne vertébrale pourra peut-être être adopté grâce à l’abstention du RN, en échange de quoi le mode de scrutin pour élire nos Députés deviendra proportionnel.
Mais on n’ira guère plus loin. Car Horizons, le MODEM et même une partie des parlementaires macronistes finiront par refuser de boire le calice jusqu’ à la lie comme entendent bien le faire les parlementaires d’extrême droite.
Tout le monde se placera rapidement en début d’année prochaine en campagne, dans l’attente d’une nouvelle dissolution en Août-Septembre 2025. Mais rien ne garantit – proportionnelle ou pas d’ailleurs – qu’une nouvelle élection conduirait à des équilibres très différents au Palais Bourbon. Au contraire d’ailleurs. Car le résultat des européennes et des législatives ont montré une tripartition en trois parts équivalentes des électeurs français. Quel que soit le mode de scrutin, il serait hasardeux de penser qu’il permettra de dégager une majorité de gouvernement.
La seule élection qui garantirait de le faire, c’est une élection présidentielle. Par nature, au soir du second tour le nouvel élu obtiendrait plus de 50% des voix. Dans notre culture monarchiste-républicaine, elle permettrait de trancher le sujet de la direction dans laquelle nous voulons aller. Enfin, elle favoriserait, par les reports du second tour, des compromis, voire une coalition à l’Assemblée pour débloquer la situation présente. Elle permettrait enfin que la nouvelle législative qui devra de toute façon avoir lieu en 2025 ait pour cadre le choix d’une politique et plus seulement le rejet d’un homme dont le mépris a usé son peuple.
M. MACRON doit démissionner! C’est le dernier et seul service que le Président actuel peut encore rendre à la France.
Son ego lui permettra-t-il ce sacrifice à la « Biden » ? C’est peu probable. Mais il risque fort d’y être inexorablement poussé, à la longue. La France n’aura alors que perdu du temps, de l’influence et de la cohésion, alors que nous pourrions avancer dès le premier trimestre 2025.
Jean-Christophe LAGARDE
Membre Honoraire du Parlement
0 commentaires